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mercredi 16 décembre 2015

Le viol de guerre




J’ai vu sur TV Sénat, si souvent excellent, une émission sur le viol de guerre au Congo, dit démocratique, plus précisément dans le Kivu. C’est aussi le portrait d’un médecin admirable, le docteur Mukwege, obligé de vivre dans son hôpital pour ne pas être assassiné. Il faut entendre la vérité dont il témoigne. Le viol des femmes et même des enfants, parfois de bébés, n’est pas l’effet de la brutalité de la soldatesque ou même de tous les soldats là où la violence règne sans limites ; c’est un acte volontaire de guerre que ces monstres poussent jusqu’à transmettre volontairement le sida à leurs victimes. Il s’agit bien d’un génocide, de la volonté de détruire une population.
Ce jugement prononcé sobrement mais sans appel est si juste qu’il s’impose de la même manière aux massacres perpétrés par Daesh. On peut reconnaître que certains des jeunes jihadistes français ont été emportés par une vague de violence et savoir que certains, même arrivés en Syrie, deviendront des repentis, mais déjà pris dans le système de la violence absolue. Mais c’est une raison de plus d’affirmer que le sens du massacre du 13 novembre ne peut pas être trouvé dans la psychologie de certains des acteurs, qu’il doit l’être dans la nature même du projet qui définit l’Etat Islamique : créer l’horreur, la peur pour faire tomber l’adversaire dans un piège : il envahira le pays où ses soldats seront massacrés ; ce qui provoquera un véritable écroulement de l’Occident impie. Sans penser que cet islamisme radical conduirait ainsi non seulement lui-même mais aussi l’Islam, comme foi religieuse à la disparition, victimes de déchirements politiques internes. Daesh sacrifie l’Islam autant que ses victimes soit chiites soit occidentales au rêve impérial d’un nouveau califat qui ne peut produire que la guerre.
Les pays occidentaux ne tomberont pas dans le piège d’envoyer des troupes au sol mais ils doivent donner aux Kurdes d’Irak les armes nécessaires à la prise de Rakka, capitale du califat, et exercer une pression efficace que tous les pays qui soutiennent en sous-main Daesh et s’opposent en même temps à la réduction des énergies d’origine fossile, charbon essence, gaz réduction dont nous avons besoin pour limiter la dégradation du climat. Il ne s’agit pas seulement de limiter la perversion de l’islam par un projet totalitaire ; il faut supprimer un régime dont le but central est la guerre contre tous ceux qu’il considère comme ses ennemis.



jeudi 3 décembre 2015

Hommage aux français


Peut-être certains des lecteurs de ce blog se sont-ils étonnés de mon silence tout au long de cette semaine. L'explication de ce silence était dans mon absence. Je n'avais pas voulu annuler au dernier moment des engagements déjà anciens à m'adresser a des enseignants et des étudiants italiens de Milan. Et c'est naturellement que j'ai été amené à donner mes premières réactions au journal le plus lu à Milan, le "Corriere della sera".

Je viens de rentrer à Paris et je tiens à m'adresser à vous tous le plus vite possible, tellement la gravité des événements de cette semaine nous oblige à réfléchir sur nous-mêmes et surtout parce-que, en ce moment comme le 11 Janvier dernier, jour de la marche pour Charlie, ma réflexion la plus intense n'est pas dominée par la peur ou par la connaissance de nos faiblesses mais au contraire par l'espoir et la confiance dans la France et sa capacité de redressement que je vois sur les visages et que j'entends dans les mots employés. 

J'avais été impressionné, pendant la marche du 11 janvier, soulèvement de masse en solidarité avec les victimes des attentats et en particulier avec les journalistes de Charlie Hebdo assassinés par des Jihadistes, de ne pas avoir entendu de cris de vengeance dirigés contre l'Islam. J'ai admiré alors notre conscience nationale consacrée à affirmer notre attachement passionné, presque religieux, à la liberté d'opinion et d'expression, sans laquelle la démocratie perd toute existence réelle. 

Depuis le vendredi 13 Novembre, notre douleur est plus grande encore, tant le massacre de masse, au Bataclan et ailleurs, nous a tous couvert de sang.

Mais, pour cette raison même je sens avec au moins autant de force qu'en Janvier la présence d'un sentiment qui avait presque disparu de notre pays, celui d'avoir retrouvé comme nation, à cause même des attentats subis, la conscience que, malgré nos faiblesses et nos erreurs, nous portons, dans nos blessures mais aussi dans nos émotions et notre sang froid, la conviction la plus sincère et la plus résolue, que nous défendons la dignité de l'être humain. Ce n'est pas la puissance de notre Etat qui fut colonial, qui a été frappée ; c'est l'ensemble des femmes et des hommes qui résistent en eux-mêmes à la mort de tant d'innocents au nom de l'amour de la vie et non pas de la haine des autres, qui n'est pas le sentiment qui nous anime.

Je comprends que le premier souci des psychologues dont le rôle, heureusement, est de plus en pus largement reconnu, soit d'aider ceux et celles qui étaient les plus proches des victimes ou qui ont été plongés le plus brutalement dans l'horreur de la mort et de nous aider tous à résister à la peur et à la haine.

Mais j'affirme ici que, plus présent encore que la peur, l'horreur et la condamnation à été et restera, pendant ces journées, notre propre retour à la confiance en nous mêmes, en l'estime en nous mêmes, en la conviction sans arrogance que nous sommes, au plus profond de nous mêmes, dignes de vivre et de souffrir pour la liberté.

J'ai retrouvé la confiance en nous mêmes ; nous ne sommes pas portés vers l'appel à plus de sang versé ici ou ailleurs, mais par notre conscience d'être du côté de ceux qui veulent reconnaitre à tous le droit de vivre dignement comme êtres-humains.

Ces mots de s'envolent pas à peine prononcés. Ils sont plus forts et plus libérateurs que les moyens de défense et de protection que nous devons renforcer.

Je veux donner à ces mots une forme plus concrète et plus immédiate.

J'ai beaucoup entendu dire ces derniers mois, dans les pays où j'ai présenté mon travail et le sens que je lui donne, que le plus important dans les pays en difficulté, comme la France, l'Italie et l'Espagne, était de renouveler et de transformer leur système politique et en particulier leurs partis. Je reconnais la pertinence de ces réflexions, en particulier en Espagne. 

Mais les morts et les souffrances ne donnent-ils pas à la France une force de redressement plus puissante et pus efficace encore. Au delà de la conscience de l'injustice et de l'horreur subies, elle nous assure du droit des justes à la vie. Ceux qui écoutaient de la musique ou rencontraient des amis n'étaient ni des prédateurs, ni des agresseurs mais des hommes et des femmes, des vieux et surtout des jeunes, qui aimaient la vie, qui étaient attachés au droit de vivre.

A nous de défendre, en premier lieu, pour eux ce droit, en démontrant dans ce pays plus connu pour ses accusations contre lui-même que pour sa recherche dune grandeur disparue, que le respect de la vie et de la dignité de chaque être-humain est notre devoir prioritaire.

Vous m'accuserez peut-être de penser seulement aux adultes, alors que beaucoup d'enfants ont été profondément perturbés par la violence qu'ils ont vue et dont les effets sur eux ont été destructeurs. Mais de nombreux témoignages soulignent que beaucoup d'enfants dans les écoles se sont adressés à leurs enseignants pour que ceux-ci leur révèlent le sens de ce qu'ils voyaient et qui les choquait profondément. Comment ne pas percevoir la différence entre Janvier 2015 quand des élèves et mêmes des enseignants refusaient de respecter une minute de silence pour les victimes. La violence du choc n'a-t-elle pas rapproché élèves et enseignants et répandu sur tous la conscience que cette violence vécue ne pouvait pas être justifiée ou expliquée par la puissance ou la domination de la France depuis longtemps disparues. En fait beaucoup de français sont écrasés par le poids des fautes et des crimes commis en leur nom mais dont ils ne peuvent pas se sentir responsables. Pour les plus vieux d'entre eux, comme moi, c'est la capitulation de 1940 qu'ils se reprochent, même si ils étaient encore enfants. Pour d'autres, plus jeunes, c'est la série des violences coloniales, du Vietnam à Madagascar et surtout à l'Algérie, aux généraux soulevés contre De Gaulle et ordonnant de torturer les combattants de l'indépendance algérienne. 

Notre premier objectif doit être évidemment la lutte contre les terroristes. Mais un tel but ne peut pas être atteint en transformant tous les citoyens en policiers ; il peut l'être au contraire en convaincant tous les français qu'ils souffrent et qu'ils luttent pour les droits humains les plus fondamentaux. Nous devons avoir confiance dans notre conception de la vie et du respect de la dignité de tous. J'ai la conviction concrète qu'en cette année 2015 à travers les épreuves subies mais aussi l'expérience de leur propre comportement responsable les français retrouvent la confiance en eux-mêmes et dans les formes de vie collectives qu'ils se sont donnés. La manière dont les français ont répondu et répondent aux attentats de Janvier et de Novembre me donnent plus d'espoir pour notre avenir que le déferlement des haines auxquels appellent quelques hommes politiques. 

Ce réveil de la capacité et de la volonté d'action pour la liberté est-il durable ? Va-t-il imposer de nouvelles orientations et de nouveaux conflits à l'action politique ? Je n'en suis pas certain. Car le monde proprement politique s'est beaucoup éloigné de l'expérience vécue ; il constitue une barrière qui sépare les expériences personnelles de la logique économique et militaire qui domine la vie des Etats et qui est de plus en plus étrangère au sens que les acteurs donnent à leur vie sociale et à leur propre action. 

J'ai pourtant un certain espoir, parce que la gauche politique a presque complètement disparu et donc que seuls les acteurs sociaux réels peuvent résister au danger créé par une droite souverainiste qui entraine la France vers le passé et lui fait tourner le dos à l'avenir. 

Je veux parler plus concrètement encore. Nous assistons depuis plus d'un an à la création d'un pôle "hollandais" de la vie politique, de plus en plus éloigné de ce que nous avions pris l'habitude d'appeler la gauche, qui s'est vidée de toute force politique par son double refus de la croissance économique et de la justice sociale et par son incapacité a reconnaitre la priorité du niveau mondial et européen sur le niveau national dans l'analyse et dans l'action. 

La crise dramatique de 2015 déclenchée par les attentats semble à beaucoup favoriser la droite souverainiste. Je crois le contraire: Hollande par sa réponse juste aux attaques subies peut l'emporter sur une vieille gauche et une vieille droite également épuisées et attirer près de lui ceux et celles qui veulent croire à la modernisation de la vie politique et des droits fondamentaux au moment où la France, qui sort encore trop lentement de la crise économique, reprend enfin confiance en elle-même.