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mardi 10 mars 2015

Pendant que l’Assemblée nationale délibère sur la fin de vie




Nous sentons tous que quand nous participons à la réflexion sur les conditions sur la fin de vie, c’est-à-dire en premier lieu sur la fin de notre propre vie, nous répondons à plusieurs questions à la fois, avec la pleine conscience que ces questions sont toutes de natures très différentes et que ce n’est pas la somme de nos réponses à différentes questions qui peut constituer notre position concrète face à un projet de loi.
Je veux seulement mentionner quelques-unes des questions à travers lesquelles nous avons à chercher notre chemin. Bien que les questions qui se posent le plus directement à nous soient les plus générales, celles qui touchent à notre conception de l’être humain et de sa vie, je préfère commencer par une question pratique car nous savons que les idées les plus respectables peuvent être dénaturées par les conditions dans lesquelles elles sont appliquées. Nous ne pouvons pas parler de la fin de la vie sans être conscients de la profonde ignorance où se trouvent encore beaucoup de ceux qui sont le plus directement concernés. Il y a trop peu de soins palliatifs en France et beaucoup de médecins, s’ils avaient à pratiquer une euthanasie, ne sauraient pas comment s’y prendre. Et savons-nous tous que la moitié des habitants de notre pays meurent dans un service d’urgence, souvent dans un abandon presque complet. J’évoque cette situation parce que si nous prenons part dans le débat de fond, encore faut-il que nous soyons décidés à agir pour que ce qu’on appelle la société respecte les conditions nécessaires pour que le mourant, sa famille et ses proches vivent – j’emploie volontairement ce mot – leur mort dans des conditions qu’ils ressentent comme humaines.
Je prends le risque de passer de ce problème terriblement réel à un débat qui me semble au contraire très éloigné des décisions que nous devons prendre, aussi éloignées que les objections de principe qui ont cherché à interdire l’avortement. Je n’ai aucunement l’intention d’attaquer l’affirmation religieuse que ni la loi ni la médecine ne peuvent avoir le droit de mettre fin à une vie puisque seul le Créateur pourrait enlever ce qu’il a donné ; mais nous n’avons pas, en tant que citoyens, à prendre parti sur une telle affirmation. La seule réponse qu’on nous demande est : que faut-il faire si quelqu’un demande qu’on mette fin à sa vie ? Appel à la liberté que je trouve aussi artificiel que la soumission à une supposée loi divine. Car l’idée du droit au suicide, que personne ne peut rejeter à priori, pose des problèmes d’une autre nature que ceux que nous discutons en ce moment. Faut-il aider à mourir un homme ou une femme jeune en bonne santé mais qui viennent de subir un choc affectif qu’ils ne parviennent pas à maitriser ? je ne veux pas entrer dans ces immenses problèmes. A trop étendre le champ de notre réflexion nous nous rendrions incapables de prendre une décision, quelle qu’elle soit.
Je peux aborder maintenant le problème le moins souvent explicité et qui est pourtant celui qui commande nos attitudes et nos opinions. Je vais essayer de le formuler simplement : nous sommes portés à la fois vers la défense d’un droit que nous jugeons, plus ou moins profondément en nous-mêmes, répondre à notre exigence de liberté : le droit de choisir notre mort comme tous les moments de notre vie ; et en même temps par une crainte, celle d’abandonner cette liberté et notre vie à la pression de ce qu’on nomme d’un terme vague la société, c’est-à-dire l’ensemble des contraintes qui peuvent nous imposer une mort non volontaire  pour des raisons de type économique ou de circonstances diverses,  ce qui est dans son principe inacceptable. Nous savons que des pays, aussi civilisés et démocratiques que la Suède, ont pendant une longue période procédé à des stérilisations obligatoires et nous voyons des pays interdire le recours à des traitements couteux pour des malades très âgés ou atteints de maladie grave. L’horreur et la honte ne sont pas toujours aussi éloignées de nous que nous le pensons.
J’en ai dit assez pour parvenir à une conclusion qui ne répond pas à toutes mes interrogations mais qui me semble nous imposer une ligne de conduite. Il faut fixer un ordre de priorité des arguments, dans quelque direction qu’ils aillent.
La priorité absolue est de reconnaître à chacun le droit de décider de sa vie et de sa mort, s’il exprime cette volonté et il ne suffit pas de parler de respect des droits du malade car souvent ces mots sont placés dans des discours qui recommandent en fait de prendre des décisions contraires à la liberté du malade.
Le second principe en importance est qu’aucun médecin ou soignant ne peut être obligé de mettre fin à la vie d’un être humain, s’il estime que cette décision est contraire à ses connaissances médicales, à son information sur l’état du malade et de ses intentions profondes ou mêmes contraire à ses propres convictions.
Le troisième principe en importance est que la personne qui choisit de mourir doit avoir le droit de choisir les conditions concrètes de sa fin de vie, en particulier la présence ou non de personnes qui l’accompagneront.
Le quatrième principe est évidement que tout acte pouvant conduire à la mort d’une personne provoqué par un acte médical doit être soumis à un jury à la fois professionnel et éthique qui s’assure à la fois des conditions de l’acte effectué et du respect réel et complet de la volonté du malade.
A partir du respect de ces principes fondamentaux peut venir ce qui sera le plus important historiquement : l’évolution de l’opinion publique, et en premier lieu des personnes les plus directement concernées.
Acceptons avant tout de mettre en marche, par nos décisions collectives, une transformation de notre représentation de nous-mêmes dont aucun d’entre nous ne peut connaître à l’avance les conséquences.