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lundi 1 décembre 2014

Feuillets d’Hypnos


  Ce ne peut pas être par pur hasard, ni sans même l’avoir décidé, je viens de relire les Feuillets d’Hypnos de René Char. Pas pour y retrouver la Beauté mais plutôt les figures qu’il évoque à peine et dont il avait même tu en écrivant pendant ses années de résistance, le nom. Me reste dans la mémoire la phrase de Claude, maquisard : « Du jour où je suis devenu « partisan » je n’ai plus été malheureux ni déçu ». Bien heureux les saints. Comment peut-on douter de ce qui donne sens à l’existence et qu’on aperçoit – de loin en loin certes – mais partout, parmi les combattants et les esprits religieux, les amis et les amants, les mères et les enfants, les intellectuels et les étudiants ? Si on ne détourne pas son regard de leur trace on peut entendre partout leur voix,  leur générosité et le battement de leur cœur.

vendredi 28 novembre 2014

Jacques et Serge



J’ai consacré la plus grande partie de ces deux dernières semaines à relire des livres de Jacques Le Goff et de Serge Moscovici, mes deux proches amis, disparus, l’un il y a quelques mois, l’autre la semaine dernière et sur lesquels je devais écrire quelques pages qui ne soient pas indignes de leur travail et de leur réflexion, d’une qualité toujours si haute et surtout si vivante qu’en écrivant sur eux je ne pense plus qu’ils aient disparu. 
Que pendant quelques décennies au moins, leur vie, de l’autre côté de la terre, celle du passé, aussi plein que le côté de l’avenir est vide reste active et féconde. Je sens que leur travail continue à avancer par sa force même et j’essaye de le suivre.
Jacques Le Goff 
Serge Moscovici 

jeudi 27 novembre 2014

Les étudiants mexicains tués par leur état.



Tant que le droit fait face au crime, l’espoir survit : le criminel sera vaincu. Mais quand le ver est dans le fruit, quand c’est le représentant du droit, politique, policier, juge, qui est passé dans le camp du crime et qui sert l’injustice, sans même à avoir à l’absoudre, par le seul charme de la corruption, la peur de la barbarie nous envahit car tout recours a disparu. La nuit ne nous ramènera pas au jour ; elle nous déversera dans des ténèbres où les libérateurs ne pourront pas pénétrer, ces ténèbres où se décomposent aujourd’hui les restes, de plus en plus informes, des 43 étudiants mexicains suppliciés. 



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jeudi 16 octobre 2014

Un chef d'oeuvre québecois

 Je ne pensais pas entendre encore une fois la langue française monter jusqu'au sommet de la tragédie, comme elle l'a fait chez Racine et comme l'anglais l'a fait chez  Shakespeare et j'ai trouve plus émouvant encore que ce français ne m'appartienne pas qu'à moi car il est prononcé, avec un fort accent québécois et avec beaucoup de mots anglais. 
Mais tellement vigoureux, autant que l'Espoir de Malraux ou les Illuminations de Rimbaud. Mommy est la mère d'un jeune québécois un peu malade, un peu mauvais garçon et il s'aiment comme au théâtre , en incluant avec eux dans leur cercle une autre femme plus proche de le l'âge du fils.
Pendant ce long film et tous les voyages qui se  succèdent nous nous sentons dans la vie la plus quotidienne et en même temps au plus haut d'une passion exprimée avec une simplicité qui arrive presque au niveau de la Phèdre de Racine .
Nous connaissons la richesse et la quantité des oeuvres produites par les québécois, en particulier au cinéma, mais ce  qui nous impressionnes le plus est que Mommy n'est ni un film français ni un film  canadien; c'est une oeuvre d'auteur et c'est en même temps une preuve éclatante de la présence  dans une  histoire déjà longue et diverse d'une population de bûcherons devenus marins mais déjà entrainés, autant que l'Ontario, l'Alberta ou la Colombie britannique dans de puissantes transformations économiques.
Ce qui démontre une capacité rarement atteinte de créer une culture, un langage et une incomparable liberté prise par rapport a cette langue qui est aussi classique quelle est étrangère a tout académisme.
Quelle émotion et quelle joie de voir notre langue si bien déformé par des acteurs qui ne se soucis pas de littérature mais de tragédie, qu'ils nous offrent hors de la portée de tout les écrivains contemporains.
Il fut un temps où les meilleurs écrivains français ont abandonnés  le latin qu'il connaissait très bien pour la langue vernaculaire qui était  encore le français et qui ne fut transformer que beaucoup plus tard,  au XVI ème et surtout au XVII ème siècle en une langue littéraire noble .
J'ai l'impression d'avoir entendu aujourd'hui une langue québécoise dans son emploi le plus commun et qui pourrait porter l'inspiration du français de France.
Tous ceux qui s'intéressent a ce pays savent qu'il est un de ceux qui ont réfléchi avec le plus de profondeur et d'originalité sur ses propre problèmes sociaux et aussi sur la nécessité de protéger
 les minorités culturelles et linguistiques . Les étudiants et enseignantes qui affluent au Québec ne se trompent pas dans leur admiration pour la naturalité et la créativité a la fois de ce pays qui est a la fois le défenseur le plus actif de notre langue,  que nous trouvons souvent mal aidée  à porter dans ses bras les plus fortes expériences  de tous ceux qui l'emploient aujourd'hui. 

mercredi 8 octobre 2014

La force réelle des faibles étudiants de Hong Kong


Le soulèvement des étudiants de Hong Kong semble désespéré. La position officielle de Pékin sur l’organisation des élections de 2017 n’est pas seulement le refus absolu de tout élément de démocratisation ; elle est formulée comme une provocation, un refus absolu de toute discussion, ce qui indique la certitude du régime de remporter une victoire absolue. Pas pour des raisons idéologiques mais parce que le poids de Hong Kong dans la vie économique de la Chine a très fortement diminué depuis la fin du régime britannique. En 1997, année de la fin de ce régime, Hong Kong représentait 16% du PIB chinois ; aujourd’hui 3% seulement.
Il est vrai que les deux tiers des investissements étrangers en Chine passent encore par Hong Kong mais la ville dépend de plus en plus de la Chine elle-même pour sa propre vie. En cas de crise majeure le gouvernement chinois peut étrangler la ville, empêcher les navires de traverser les eaux territoriales chinoises, fermer l’aéroport entouré par l’espace aérien chinois, couper une grande partie de l’alimentation de la ville.
Cette dépendance est si grande que le gouvernement chinois a pu se permettre ; jusqu’ici, de ne pas écraser la révolte dans le sang parce qu’il pense que la majorité de la population a conscience de sa dépendance. Les rebelles de Hong Kong savent qu’ils ne peuvent pas exercer de pression sur le gouvernement chinois.
Leur action est-elle celle de desperados qui veulent vendre chèrement leur peau ? Cette interprétation ne correspond pas davantage aux informations reçues.
Pour comprendre l’importance du mouvement actuel il faut adopter un autre point de vue. D’abord, en remontant en arrière pour interpréter la pensée de Deng Xiaoping résumée par la formule : « un pays, deux systèmes ». On peut penser, avec Martin Lee, qui est considéré à Hong Kong comme le « père de la démocratie » qu’il voulait appliquer ce système non seulement à Hong Kong mais à la Chine toute entière. La nouvelle puissance économique de la Chine peut l’enfermer dans un régime de plus en plus autoritaire en rupture avec ses principaux partenaires économiques, et en particulier avec les Etats-Unis, et la conduire jusqu’à un conflit majeur qui ne serait pas catastrophique seulement pour le monde mais pour la Chine elle-même. Détruire complétement l’autonomie politique limitée de Hong Kong aujourd’hui signifierait un refus total et définitif de toute évolution, même à très long terme, de la Chine. Les étudiants de Hong Kong manifestent et prennent des risques aujourd’hui pour tous les chinois de demain. Comment pourraient-ils ignorer leur propre faiblesse et en même temps l’importance visible partout en Chine de la poussée pour le développement du marché intérieur qui implique la possibilité d’une pression politique contre la ligne officielle qui a fait de la Chine « l’usine du monde » mais aussi un lieu de détention massive et de faible consommation mise au service de l’enrichissement du reste du monde ?
Les pays occidentaux n’ont rien à gagner à donner des leçons de morales politiques au gouvernement chinois ; mais ils doivent comprendre que les étudiants de Hong Kong luttent pour un début de démocratisation dans toute la Chine et que leur force vient de la conscience de plus en plus généralisée des besoins et des demandes des chinois eux-mêmes.




samedi 4 octobre 2014

Intervention d’Alain Touraine à la cérémonie du 12 septembre 2014

Mesdames et Messieurs les ministres,
Señora y señor embajadores,
Monsieur Le Président de la Maison de l’Amérique Latine, cher Alain Rouquié,
Monsieur le président de l’Ecole des Hautes Eudes en Sciences Sociales, 
Merci de votre présence qui m’honore.

Mon cher Edgar,

1. Tu m’as fait un grand honneur en me remettant cette décoration, parce que tu l’as reçue toi-même pour la plus noble des raisons, pour faits de résistance.
C’est aussi pour moi un grand plaisir de l’avoir reçue de tes mains car, pendant la longue période qui a culminée de 1970 à 1983, pendant laquelle les sciences sociales en France ont été perturbées par des attaques également aveugles d’extrémistes de bords opposés, nous avons été l’un et l’autre engagés, non dans une action de défense professionnelle vide de contenu mais dans de grands efforts pour faire revivre la pensée sociale. Tu as, en particulier fait reculer le scientisme épuisé, hérité du 19ème siècle, en enseignant aux sciences humaines ce qu’était la science vivante d’aujourd’hui, comme nous le savons tous par le célèbre Journal de Californie.
Mais ce n’est pas des obstacles rencontrés que je souhaite parler ici. D’abord, parce qu’ils ont été largement compensés pour moi par l’appel et l’amitié des Chiliens, des Brésiliens, des Argentins et de tant d’autres, en Amérique latine et ailleurs. Et surtout parce que je suis assez près du bout de ma route pour vouloir avant tout indiquer clairement où va le chemin, parfois caillouteux, sur lequel j’ai cherché à avancer depuis plus d’un demi-siècle.

2. A un déterminisme économique de plus en plus pesant, à mesure que les mouvements sociaux de l’époque industrielle s’épuisaient, j’ai opposé une sociologie des acteurs, des mouvements sociaux, de la libération. 
J’ai commencé ma vie professionnelle active par une longue recherche – plusieurs années de terrain – sur la conscience de classe ouvrière. J’ai montré qu’elle n’était pas un effet du fonctionnement du capitalisme mais la défense par les ouvriers, surtout qualifiés, de leur autonomie professionnelle menacée par le taylorisme et le fordisme. Dès ce moment j’ai compris qu’il fallait penser en termes d’acteurs et non de systèmes.
Peu après j’ai été plongé dans les mouvements étudiants américains et surtout français, que toi et moi, avec Claude Lefort et Cornelius Castoriadis, avons été presque les seuls à vouloir comprendre.
Ainsi préparé j’ai élaboré une méthode d’étude des mouvements sociaux, l’intervention sociologique et j’ai mené, avec Michel Wieviorka, François Dubet et, dans le cas de l’étude sur Solidarność en Pologne notre ami disparu Jan Strzelecki, cinq grandes études qui ont duré un an chacune.
Parallèlement, j’ai consacré une partie importante de ma vie à l’Amérique latine ce qui m’a conduit finalement à publier un livre sur la vie sociale et politique du continent dont l’idée générale est inscrite dans son titre : La parole et le sang.
Quant au Chili, que je n’ai cessé de visiter et d’étudier de 1956 à 2013, il est toujours resté au cœur de mes réflexions sur la renaissance des démocraties. Vous comprenez ainsi pourquoi je suis si reconnaissant à la Maison de l’Amérique Latine et à son Président Alain Rouquié de nous accueillir si généreusement. 
Enfin, je n’ai cessé d’attacher la plus grande importance aux mouvements des femmes, en France, où j’ai été proche d’Antoinette Fouque, récemment disparue, et aussi en Espagne et en Italie.
Ainsi, après trente ans de travail j’avais acquis une image assez solide de la société dont nous venions, cette société industrielle qui se construisait ou se reconstruisait presque partout. Mais je sentais aussi, surtout à partir des années 80, que nous quittions ce monde connu pour aller vers un autre, où nous sentions même que nous étions déjà entrés.

3. Aujourd’hui tout a changé. D’abord la nature du pouvoir. La domination et les conflits, qui étaient centrés sur la production, surtout industrielle, ont tout envahi, non seulement les mondes de la communication et de la consommation autant que celui de la production, mais aussi la création des opinions, des représentations, des choix. La domination, dans tous les domaines de la vie sociale, est exercée par un pouvoir qui, quel qu’il soit, celui de la finance, d’un parti ou d’un dictateur, se veut de plus en plus total, sans qu’on ose encore parler du retour des pouvoirs totalitaires, sauf dans des cas extrêmes.
Le conflit principal n’est plus entre ceux qui commandent et ceux qui sont subordonnés ou entre les grandes entreprises et leurs salariés répartis dans le monde entier. Il oppose ceux qui veulent tout mettre au service du pouvoir, de leur pouvoir, et ceux qui réclament le respect des libertés, de l’égalité et de la dignité de chaque être humain et de son refus d’être humilié, c’est-à-dire les droits de l’homme.
D’un côté, l’acteur dominant devient plus politique que social ; de l’autre l’action des dominés devient plus éthique que sociale et économique. Contre un pouvoir qui se veut total, il ne suffit pas de défendre des droits particuliers, voire des statuts juridiques ou des croyances ; il faut mobiliser directement la défense des droits de l’homme fondamentaux, c’est-à-dire universels.
Ce qui m’a conduit à réintroduire l’idée de sujet, qui avait été jetée aux orties par ceux qui voulaient réduire les sciences sociales à la découverte de la logique des systèmes, en éliminant les intentions des acteurs.
Pendant un très long 19ème siècle les idées d’histoire, de développement et de diversité des processus de changement avaient triomphé ; aujourd’hui, l’idée des droits prend sa revanche sur les philosophies de l’histoire. C’est une sorte de retour de Hegel à Kant.

4. Dans ce difficile passage d’un siècle à l’autre, d’une civilisation à une autre, j’ai été le mieux guidé non pas par de grands écrits et de nobles figures mais par l’exemple de ceux et celles qui étaient les plus proches de moi. Déjà avec Michel Crozier, Jean-Daniel Reynaud et Jean-René Tréanton nous avions créé la revue Sociologie du travail pour contribuer à la reconstruction de la sociologie.
Mais surtout c’est la longue maladie et la mort en 1990 de mon épouse chilienne, Adriana, l’être humain le plus humain que j’ai jamais rencontré, qui m’ont fait accomplir ma conversion vers une sociologie de l’individu créateur et ouvert aux autres. Et plus de vingt ans plus tard, en 2012, c’est la disparition de Simonetta, ma compagne italienne, si belle et d’une culture si internationale, qui m’a poussé à élaborer une nouvelle formulation de mes idées en écrivant un gros livre, déjà paru, et un autre, plus ramassé, auquel je travaille encore.
Homme plutôt solitaire, éloigné des jeux et des ambitions mais attentif au monde, je dois presque tout à ceux et celles avec qui j’ai travaillé et vécu. Enfant, j’ai appris de ma famille à aimer le travail et les livres et je suis heureux de saluer ici ma sœur Jeanne, survivante avec moi de ce monde disparu. En revanche, je n’ai pas aimé le lycée, ni avant ni après le Bac, qui a pourtant su me faire entrer facilement à Normale Sup, puis à réussir l’agrégation. Je suis heureux d’avoir commencé ma vie adulte en quittant le monde universitaire pour découvrir le monde du travail, avant d’y revenir grâce à deux hommes dont je tiens à évoquer le nom. Le premier fut Georges Friedmann qui, alors que je ne voulais pas préparer l’agrégation me dit : « Présentez-vous, au moins une fois. Si vous êtes reçu je vous prends au CNRS ; si vous ne l’êtes pas je vous y prends aussi ».
Quant à Fernand Braudel, qui avait eu l’élégance de nous faire recevoir à cette agrégation, Jacques Le Goff, mon cothurne et moi, ex aequo, il me fit élire directeur d’études à la VI section de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes - future EHESS – très jeune et me permit ensuite de passer à Nanterre les années 66 à 69, plus qu’intéressantes, avant de revenir à plein temps à l’Ecole. Je tiens à exprimer au Président actuel mon attachement sans limites à cette institution.
A ces deux noms de grandes figures des sciences sociales, je tiens à ajouter celui de Michel Rocard, dont j’ai été très proche pendant sa montée vers le pouvoir et son action à Matignon. Pierre Mendès France, Jacques Delors et Michel Rocard m’ont démontré qu’il existe un avenir pour ceux qui ont le courage de le construire. 
Pendant ma longue vie, assez courte en fait si j’en enlève le temps du travail, ce sont mes enfants qui m’ont apporté l’appui le plus indispensable. Marisol parce qu’elle a osé pénétrer dans la vie publique que j’ai toujours regardé depuis la colline de l’Académie et Philippe parce que je suis très heureux de le voir engagé dans cette grande médecine hospitalière où j’avais vu vivre avec la même passion mon père, mon frère et mon beau-frère Bernard Pierquin.
Je souhaite à tous mes petits enfants de pouvoir réussir la vie où ils entrent, quel que soit le type d’activité et la partie du monde où ils seront conduits à vivre. 
Je veux aussi exprimer ma reconnaissance aux groupes libres de réflexions auxquels j’ai souvent participé. J’ai gardé un attachement particulier pour celui de Cerisy, pour Madame Heurgon et ses filles, qui nous ont si souvent accueillies, aussi bien Adriana et moi que le Cadis tout entier.
J’ai été entraîné par Candido Mendes de Almeida et Margareth dans le tourbillon de l’Académie de la latinité qui m’a fait découvrir de nombreux pays arabo-musulmans dans un esprit de compréhension.
Plus récemment, mon attachement à l’esprit de progrès et de croissance m’a permis, grâce à Anne Lauvergeon, Maurice Tubiana puis François Ewald de participer aux réflexions d’un groupe de grands scientifiques dont je partage le refus de l’irrationalisme, de la décroissance et de la démodernisation.

5. Quant à mon travail, dont je reconnais qu’il a occupé la plus grande partie de ma vie, je veux dire avant tout la chance que j’ai eue de travailler pendant tant d’années avec des personnalités aussi créatrices que Michel Wieviorka et François Dubet qui sont devenus très naturellement des chefs de file de la sociologie internationale, et dont les œuvres personnelles sont parmi les plus influentes.
Je ne veux remercier en plus d’eux et de Philippe Bataille, qui nous a succédé à la direction du Cadis, que quelques absents qui me sont chers : Manuel Castells qui m’émeut quand il se déclare mon fils spirituel, Manuel Antonio Garreton, qui est le meilleur du Chili, Geoffrey Pleyers, aussi multinational que la petite partie de la Belgique dont il vient, Fernando Calderon, Bolivien et figure centrale de la sociologie latino-américaine et aussi ceux qui sont entrés dans la vie publique comme Fernando Henrique Cardoso, deux fois président du Brésil, Ricardo Lagos, ancien président du Chili ou José Nun, ministre argentin de la culture. 
Mais surtout je tiens à dire ma fierté d’avoir travaillé dans mon séminaire des Hautes Etudes pendant plus de quarante ans, chaque année, avec une large majorité de chercheurs et d’étudiants venus d’autres pays. Aujourd’hui même je me réjouis de la confiance que nous manifestent les dirigeants du Kurdistan dit Irakien, qui se définissent comme laïcs, démocratiques et féministes ! Ce qui excite notre sympathie.
Je ne peux pas clore ces remerciements sans dire avec émotion la chance exceptionnelle que j’ai eue de travailler jour après jour, pendant des dizaines d’années, avec des assistantes, dont certaines ont été vraiment exceptionnelles, Jacqueline Blayac, Jacqueline Longérinas et Jacqueline Lanfant. Aujourd’hui, Christelle Ceci a les mêmes qualités qu’elles, qui débordent si largement la définition de leur fonction. 
Enfin peut-être vais-je surprendre quelques-uns parmi vous mais je suis heureux de vous informer que je tiens un blog depuis plus d’un an et de manière assez active avec la collaboration de Djemila Khelfa, un peu comme autrefois j’écrivais régulièrement dans Ouest-France, El País en Espagne et Il Sole 24 Ore puis la Repubblica en Italie.

Final.
Je suis conscient que cette cérémonie peut être ressentie comme un hommage final ; je voudrais au contraire qu’elle marque un nouveau départ.
Nous avons beaucoup travaillé pour comprendre le monde nouveau où nous sommes entrés. Maintenant il faut agir ; la théorie doit faire naître des pratiques ; la sociologie doit être utile. Comment ? Dans un monde vidé d’espoir, désorienté et réprimé elle doit faire naître de nouveaux acteurs, transformer des consommateurs et surtout des victimes en sujets actifs de changements qui étendent et renforcent la reconnaissance des droits de tous.
 Apprenons à faire revivre l’esprit des volontaires, fait de conscience, de générosité et de courage et que tu représentes si bien mon cher Edgar.
C’est un appel que j’adresse aux plus jeunes ; quant à moi, je promets de continuer à travailler, en appui théorique et pratique aux nouvelles libérations, aussi longtemps que je le pourrai.

Merci de votre présence et de votre amitié.


                                              
                                                                          Alain Touraine et Edgar Morin

vendredi 19 septembre 2014

Un essai de diagnostic

      Un blog n'est ni une tribune officielle ni un bureau des plaintes, où chacun peut raconter où le bât le blesse.C'est souvent de politique qu'on y parle, mais au détail. Pourtant celui qui fait un blog doit de temps en temps prendre un peu de distance, pour mettre de la  lumière  dans la confusion de la vie quotidienne et faire apparaître de grands problèmes  derrière l'expérience particulière de chacun.. C'est ce que je souhaite faire aujourd'hui, parce que je supporte mal la dégradation du débat politique. Chacun de ceux ui tiennent un blog doit prendre le risque de proposer des explications et de suggérer  des solutions à   la crise que nous vivons tous, quitte à devenir des arroseurs arrosés.
   Je  me jette donc à l'eau et je vous propose une hypothèse, qui n'explique pas tout mais qui me semble toucher une cause importante de notre crise et surtout de notre impuissance.
    Admettons que le corps social se  compose de  trois organes principaux: l'Etat; la société dite civile et les moyens d'intervention et de contrôle du premier sur la seconde,par les impôts, l'éducation, la Sécu, les grands équipements etc.
 Mon diagnostic de base, concernant l'Etat, est qu'il fonctionne plutôt bien: la France ne vit pas dans l'anarchie et la violence; elle a eu le courage d'intervenir militairement, en particulier au Mali,; elle respecte la laïcité et la liberté de conscience. L'Etat s'appuie sur de hauts fonctionnaires dont nous nous souvenons encore avec quelle efficacité et quel esprit de progrès ils ont reconstruit le pays après 1945.
  La société civile, en  particulier économique, ne va pas mal non plus. Nous avons beaucoup d'entreprises puissantes au niveau mondial, nos écoles d'ingénieurs et de commerce sont considérées comme parmi les meilleures et nos scientifiques récoltent des prix Nobel et des Médailles Field.
   Ce qui conduit à nous inquiéter est que le monde de la production a toujours occupé' une place trop peu importante: la France n'est jamais parvenue au même niveau d'industrialisation que la Grande Bretagne, l'Allemagne ou le Japon; la France a toujours été un pays de banquiers plus que d'industriels, que ses syndicats ont toujours été faibles et divisés; sauf pendant une très courte période et qu'elle cultive, en particulier chez ses intellectuels, une étrange aversion à l'égard de l'entreprise. C'est bien dans son troisième organe, dans la manière dont l'Etat impose ses propres critères de fonctionnement à des activités qui ont d'autres exigences, que réside une des causes principales de notre crise. La faiblesse de son esprit industriel laisse trop de place à l'argent, au profit et à la rente qui ne sont pas liés à la production.
Attention! ces interventions de l'Etat ont aussi des effets positifs, que nous résumons en un mot , si important que nous n'en prononçons que la moitié : la Sécu . Et il serait juste de reconnaitre aux gouvernements successifs qu'ils n'ont pas détruit, malgré le déficit budgétaire , l'essentiel de la Sécu et que la France à même adopté cette CMU qui  restera dans l'histoire un de nos titres de gloire: elle accueille et soigne dans nos hôpitaux publics tous les malades, même ceux qui n'ont ni argent ni papiers . Pas question d'abandonner cette conquête, pas plus la laïcité et la liberté des cultes .
Mais - et ici nous entrons dans la zone malade- l'Etat impose sa logique d'action, celle de l'administration,  dans des domaines dont le fonctionnement doit être complètement différent. Le principal échec est dans l'enseignement, comme le démontrent, année après année, les classement PISA ou, pour les universités celui de Shanghai  . Il est vrais que la France a su créer. M des espaces libres pour les explorateirs et les scientifiques et pour les chercheurs dans tout les domaines . Je connais leurs qualité et leurs importance ; j'y ai passe ma vie.Mais le coeur de l'enseignement, la relation de l'enseignant à l'enseigner, reste dominé par une définition traditionnelle et autoritaire des disciplines , des cours et des programmes, dont les effets sont désastreux. L 'enseignant est censé diriger les jeunes vers des valeurs situées bien au dessus d'eux . On a fait de lui un prêtre ; d'ou l'échec fréquent de la communication avec les enseignés.
Un deuxième symptôme  grave de cette maladie générale est l'étroitesse du recrutement des dirigeants de tous ordres, non seulement l'insuffisance mais la diminution du recrutement des décideurs dans l'ensemble de la population. Cette faiblesse- dont souffrent bien d'autres pays, comme le Japon et même les Etats-Nis- est insupportable, parce qu'elle vide la démocratie de son contenu.
  Je n'ajoute qu'un dernier exemple: l'idée de la République une et indivisible, qui a entraîné le rejet et le mépris des territoires et des minorités. Nous devrions nous souvenir que notre laïcité doit beaucoup aux protestants et aux juifs, qui ont subi des persécutions des souverains catholiques. .Et nous sentons la nécessité  d'empêcher les discriminations contre les immigrés récents, pour éviter des réactions communautaristes dangereuses pour tous.
 D'où vient cette domination de la société par l'Etat qui amène certains à parler d la France comme d'une monarchie républicaine?. Deux explications très différentes nous sont proposées. Pour certains c'est la faute aux rois et à l'Eglise catholique, à Napoléon et même à De Gaulle. D'autres, dont je suis, pensent que c'est la faiblesse des acteurs, des entrepreneurs comme des syndicats,la soumission des enseignants à un centralisme jacobin, l'absence de négociations collectives, qui entraîne la préférence française pour les affrontements sur les négociations, pour la Révolution sur les réformes.Personne ne réclame plus de liberté d'initiative; tous réclament un contrôle plus étroit de l'Etat sur l'adversaire.. Je prends clairement parti pour cette deuxième explication, parce que l'Etat jacobin n'a pas d'autre appui que lui-même, que l'ensemble de ceux qui dépendent, directement ou indirectement, de lui.Je trouve excellent que l'indépendance des enseignants soit garantie par l'Etat, mais je ne vois pas pourquoi l'enseignement est organisé et évalué par des fonctionnaires.
 Le cas le plus extrême est celui de la recherche scientifique où de grandes réussites ont été possibles mis où les conditions de travail et de vie sont dominées par des administrateurs souvent étrangers à la création scientifique.
  Si je voulais aller plus loin, je devrais entrer dans la politique, ce que je refuse  car je ne suis pas préparé à ce type de décision et de stratégie. ne m'étant jamais présenté à une élection.
  Ma conclusion principale est que notre tâche la plus urgente est de renforcer la capacité d'action des acteurs: enseignants et enseignés, salariés et dirigeants, majorité et minorités. Un premier pas important serait de redonner du pouvoir au Parlement
  Ce qui rend le problème plu grave encore est que la faiblesse de citoyens se voit partout et que ni la gauche, ni la droite, ni encore moins l'extrême-droite ne semblent comprendre les problèmes fondamentaux de notre société. Nous aurions besoin d'une série de référendums pour reconstruire le couple désuni de la société et de l'Etat.
 


mercredi 10 septembre 2014

Aujourd'hui, le silence; demain la violence ?

On pouvait s'attendre au pire, à une flambée de violence dans les banlieues, à des manifestations de masse dans le centre des grandes villes, à des discours véhéments de Marine Le Pen, à des occupations d'entreprises menacées de fermeture....Or il ne se passe rien. Le mécontentement qui semblait envahir toute la vie publique se concentre sur la vie privée du Président qui aurait mal parlé des gens sans ressources, ce qui est certainement faux. On pourrait croire, à écouter ce silence, que ce que tant d'entre nous vivons comme une crise grave pourrait  être réglé par quelques conseils d'un bon publicitaire.
   Je parle sérieusement. Ce calme extrême est étrange, inquiétant. Devons nous suggérer à François Hollande de partir en pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle et de disparaître en cours de route dans un couvent franciscain pour que tout se calme, sous l'autorité d'un gouvernement de trappistes.
Soyons plus clairs. Personne n'offre de solution; personne ne définit les causes de la crise et la manière de la surmonter. Cela veut-il dire que l'opinion a raison de rester elle aussi silencieuse? Ou cela veut il dire qu'il faut tout changer, des Assemblées au Président? Mais si elle pense ainsi, l'opinion ne devrait-elle pas se demander si, dans ce vide politique, ce n'est pas la violence qui remplacerait le silence?


mardi 26 août 2014

Une fausse crise

Le jugement le plus modéré qu'on peut porter sur la crise politique de cette semaine est qu'elle se réduit en somme à la tentative d'Arnaud Montebourg de s'imposer comme candidat de la gauche à la prochaine élection présidentielle contre F. Hollande.  Débat d'un intérêt limité, puisqu'une gauche divisée n'a presque aucune chance de gagner. J L . Melenchon  devrait l'expliquer à son nouveau concurrent.
 La gauche chevènementiste devrait surtout comprendre que la critique de l'Europe est le fonds de commerce de l'extrême droite qui est formée avant tout des victimes de la désindustrialisation.
 En revanche cette crise est salubre si elle nous fait comprendre que nous sommes tout près d'une crise de gouvernement, du rejet par le Parlement  du projet de budget  ou de la demande de confiance présentés par le gouvernement, ce qui entraînerait la dissolution de l'Assemblée et la défaite des trois quarts des députés de gauche actuels.
  Tous parlent avec raison de la nécessité de faire renaître la gauche. Et il n'est pas difficile de dire comment on peut y parvenir.La gauche est  la volonté d'allier la modernisation économique avec la diminution des privilèges et des inégalits. Cette renaissance est en effet urgente, puisque notre pays unit l'absence de croissance avec l'augmentation des inégalités. Jetons un regard sur le passé et n ous comprendrons combien avaient raison les socialistes qui défendaient les producteurs contre les rentiers et les spéculateurs C'est là qu'est la clé de la victoire de la gauche et non pas dans les batailles de chefs.

samedi 23 août 2014

L' impasse djihadiste

           Aucun pays n'a pu se moderniser sans être d'abord devenu un Etat national, maître de son territoire et de ses institutions. Après la seconde Guerre mondiale, dès 1948, Israël devient un Etat national, bien qu'il se définisse comme un Etat juif. Dès lors la création d'un Etat palestinien devient une nécessité. Mais de tous côtés les résistances s'accumulent et la volonté d'attaquer l'adversaire l'emporte sur la nécessité d'atteindre son propre but Les victoires d'Israël ont provoqué l'éclatement du monde palestinien;l'Irak et l'Iran, en s'engageant dans une guerre de religion entre sunnites  et chiites se sont affaiblis comme Etats Nationaux; le Liban qui, avec Chehab, avait essayé de devenir un Etat national, s'est enfoncé dans une guerre civile et finalement l'Irak, après l'occupation américaine, se transforme en un Etat chiite, bien que Bagdad soit le coeur du régime sunnite de Saddam Hussein et alors que les Kurdes exercent une forte pression pour leur indépendance et que l'Etat islamique recrée le califat à cheval sur l'Irak et la Syrie. Chacun, dans une telle situation,n'est rien d'autre que la haine de son ennemi et ne songe qu'à l'éliminer, comme le font en ce moment le Hamas et les israéliens. De plus en plus de djihadistes sont des occidentaux convertis et qui ne portent en eux aucun projet national et encore moins religieux. De là cette dérive accélérée vers la violence la plus sauvage,comme la décapitation sur Internet d'un journaliste américain. Cette tendance peut conduire à une montée sans fin de l'horreur; elle ne peut pas conduire à la formation d'Etats stables et capables de développement économique, alors que s'annonce l'épuisement des réserves de pétrole. Dans de telles conditions le djihad est une impasse.

vendredi 27 juin 2014

Un grand jour pour les droits humains.


Les problèmes qui touchent le plus directement notre conscience de notre propre vie, de leurs droits et de leurs limites, de nos devoirs à l’égard de la société et de leurs limites ne trouvent pas de réponses suffisantes dans la loi, encore moins dans la parole des gouvernants. La preuve en est que les réflexions et les débats qui se forment autour d’un cas aboutissent souvent à transformer la loi.
Nous en avons fait l’expérience à propos du droit à l’avortement, du port du voile islamique à l’école, du droit des homosexuel(le)s au mariage et à la filiation. Nous n’en avions pas encore la démonstration à propos de la fin de vie volontaire et du rôle que peuvent y occuper les médecins.
Avec une rapidité et une radicalité qui ont surpris nous venons, nous, peuple français, au nom duquel le jury de Pau a pris sa décision d’aller à l’essentiel, au-delà de la loi Leonetti et d’arguments de tous ordres et qui méritent tous réflexions : nous avons rappelé que, derrière la complexité de chaque affaire, il ne fallait pas perdre de vue que le peuple français manifeste depuis longtemps sa forte conviction que chaque être humain doit pouvoir choisir, s’il le veut, les conditions de la fin de sa vie, c’est-à-dire de sa mort.
Le procureur, le juge, le jury, les témoins, en particulier médecins locaux, les penseurs invités à s’exprimer ont reconnu que le docteur Bonnemaison avait commis des fautes et que ce n’est pas sans raison que certains l’avaient accusé et voulaient le condamner mais que c’est lui, chargé de transgression, qui a le mieux entendu notre demande, que nous formulions souvent mal, mais où nous engagions notre conception de nous-mêmes comme êtres libres, responsables et dont la dignité doit être respectée. 
La grandeur du jugement émis est qu’il n’a pas cherché à faire la part de la chèvre et du chou et qu’il a déclaré le docteur Bonnemaison, accusé de sept assassinats, innocent. Ce jugement affirme, ce jugement rend clair que les lois, les gouvernants et les professionnels devront entendre notre attachement fondamental au respect de la conscience humaine, car c’est lui qui est le principe dont toutes les institutions démocratiques tirent leur force et dont nous savons par expérience qu’il peut déplacer les montagnes avec plus de force que toutes les formes de conscience identitaire.


mardi 17 juin 2014

Le premier ministre l’a dit.

Il l’a dit….
Pour nous, simples citoyens, c’était une évidence mais pour lui, le Premier Ministre, dire que la gauche est en décomposition, risque sa propre disparition et que son absence au second tour dans des conditions pires qu’en 2002 ouvre la voie au Font national. Il l’avait déjà dit en réalité, et même dans un livre en 2008, mais cette fois-ci c’est au Parti socialiste qu’il s’adresse. Evidemment, Manuel Valls n’est pas le Premier secrétaire du Parti socialiste mais le gouvernement existe bien davantage que le Parti socialiste. Au point que le nom de Harlem Désir évoque plutôt le SOS racisme lointain que le PS dont il était le Premier secrétaire et où il vient d’être remplacé par Jean-Christophe Cambadélis, encore moins connu, mais dont l’obscurité pourrait vite se dissiper puisque le Premier ministre a été brutalement clair. Si le PS continue à agir ou plutôt à ne pas agir comme il le fait depuis deux ans au moins il disparaitra et avec lui tout notre système politique.
Cette déclaration du Premier ministre n’est certainement pas formulée en l’air ; c’est une annonce de candidature à l’élection présidentielle. Manuel Valls n’a parlé comme il l’a fait que parce que ses mots correspondent à sa conviction, que les idées et les objectifs par lesquels nous définissons la gauche ne sont plus représentés par le Parti socialiste. Et nous savons bien que dans son esprit ils le sont encore moins par le Parti communiste, les écologistes ou Jean-Luc Mélenchon. La gauche est sans parti et sans voix même s’il a maintenant un candidat. Et pas encore deux puisque aujourd’hui une réélection de François Hollande est pratiquement impossible.
Je ne sais pas encore si cette candidature va créer une crise ou même un éclatement du Parti socialiste ou si elle va obliger simplement le PS à renaître au prix d’un changement de nom.
La constitution, en donnant tous les pouvoirs au président de la République, oblige tout le monde, y compris le Premier ministre, à s’exprimer avec prudence pour ne pas être mis à la porte par le Président. Il est donc presque certain que Manuel Valls va garder le silence sur sa candidature mais plus certain encore qu’il nous l’a déjà présentée.

                                                                Manuel Valls




mercredi 28 mai 2014

Quelle crise la France vit-elle aujourd’hui ?


Les Français ont-ils voté contre l’actuelle politique de l’Union européenne ? Une réponse positive semble s’imposer puisque le grand vainqueur de cette élection est le Front national qui est le seul parti ouvertement anti-européen. Cependant, ce raisonnement est faux. La même politique européenne vient d’être massivement approuvée par les deux grands partis allemands, et en particulier par la chancelière Angela Merkel qui est la vraie présidente de l’Europe.

En second lieu, les Français ont voté, il y a quelques semaines seulement, contre le gouvernement dont le soutien principal, le Parti Socialiste, vient de subir une défaite historique. Il ne faut pas se tromper d’ennemi. L’Europe est rejetée comme un élément essentiel de la politique économique des gouvernements européens. Les Français n’ont pas voulu davantage rejeter l’Europe qu’ils ne se préoccupent de rejeter personnellement François Hollande étant donné qu’une dissolution offrirait le pouvoir au Front national. L’Europe, François Hollande, et bien d’autres sont rejetés comme des signes de l’échec d’une politique qui empêche la croissance, accroit le chômage, surtout celui des jeunes, ne lance aucune véritable réforme. Ce n’est pas seulement d’un échec de la gauche qu’il s’agit. Nicolas Sarkozy n’a laissé qu’une œuvre importante : il a augmenté la dette. Nous venons de voir que l’échec de la gauche n’est pas la contrepartie du succès de la droite puisque l’UMP a mordu la poussière et, de plus, que ce nœud de vipères a jeté par la fenêtre son président accusé de malversation. Le succès du Front national dans presque toutes les régions électorales lui permet de dire qu’il est le seul à parler, au nom d’un peuple sacrifié, à la finance internationale et aux bureaucrates de Bruxelles. Ce qui ne veut pas dire grand-chose mais indique ce que seront ces prochaines campagnes électorales.

Ce vide politique, cette disparition des partis, ces échecs économiques répétés sont encore aggravés par le pouvoir absolu dont dispose le Président de la République en France. En Italie où Beppe Grillo a obtenu autant de votes que Marine Le Pen en France, Matteo Renzi a les mains libres et peut réaliser en quelques mois des réformes impossibles même à concevoir en France.

Deux idées s’imposent : la première est qu’aucune politique ne sera acceptée par les Français si elle ne fait pas reculer le chômage. La deuxième est que le système politique français empêche toutes les réformes. Celles-ci ne peuvent venir que d’en bas, des citoyens. Nous n’avons plus le droit de pleurer sur nos malheurs et notre impuissance. Nous devons parler, proposer, critiquer, prendre des initiatives. La position la plus dangereuse qui soit aujourd’hui est de dire qu’il faut parvenir aux élections de 2017. Nous y parviendrons certes, mais dans le sang si nous n’empêchons pas l’impuissance de se transformer en violence.

Nous avons autant besoin de confiance en nous-mêmes que d’emplois pour nos enfants. Nous sommes en état d’urgence. Ce blog aussi doit prendre la parole.




mardi 20 mai 2014

La chute, tous parachutes fermés.



Nous ne sommes pas gouvernés. Nous sommes au lendemain d’une défaite du gouvernement et à la veille d’une autre défaite qui nous rappellera la catastrophe initiale, celle de 2002, quand Jean-Marie Le Pen précéda Lionel Jospin au deuxième tour des élections.
Entre la catastrophe de 2002 et celle de 2014, la crise financière mondiale de 2007-2008 puis la crise monétaire de 2010 ont menacé l’existence de la Grèce, du Portugal et surtout de l’euro sauvé in extremis grâce au gouverneur Mario Draghi.
Parallèlement se poursuivent, dans un silence complet, des négociations majeures entre les Etats-Unis, dominés par les marchés, et l’Europe qui garde la volonté de maintenir un certain contrôle de l’Etat sur la société.
Depuis plus de dix ans nous roulons dans le vide sans prendre la moindre décision. On peut se demander pourquoi nous n’ouvrons pas au moins notre parachute, mais on a oublié de nous en donner. Le débat politique est réduit à ceci : que vaut-il mieux enlever, de l’argent aux entreprises ou en enlever aux consommateurs ? Les enfants du collège connaissent la réponse, les deux solutions sont catastrophiques. Il ne s’agit pas de choisir entre mourir par manque d’offres ou mourir par manque de demandes il suffit de retrouver ce mot oublier, la croissance, qui suppose à la fois l’offre et la demande, vérité élémentaire que nous avons pratiqué nous-même pendant quelques dizaines d’années.
Mais nous n’en sommes plus à discuter des raisons de notre chute : nous chutons, tous parachutes fermés et maintenant, élection après élection, nous voyons se décomposer notre système politique. Il n’y a plus de partis, il n’y a plus de programmes ; personne ne parle plus aux citoyens qui ne sont plus que des moutons sur le dos desquels on coupe la laine. 
N’accusons pas l’Europe et l’euro de nous détruire. C’est nous qui n’avons plus ni idées, ni volonté, ni démocratie, ni gouvernement. Pensons-nous que nous pouvons redresser un pays avec un gouvernement minoritaire qui n’a encore proposé aucun programme de redressement et qui ne semble même plus représenter une volonté nationale devenue invisible ?
Pensons-nous que notre seul but doit être d’arriver cahin-caha à 2017 pour qu’une élection entre les non candidats A, B et C décident du non programme qui fera apparaitre une non solution ? Nous pourrions même demander aux Italiens de nous prêter Grillo pendant quelques mois comme le spécialiste de la non solution des non problèmes.
Réveillons-nous, nous tombons dans le vide, et les parachutes ou bien sont fermés ou bien ont disparu.
Levalet  : La chute  encre  de chine sur kraft blanc sur mur http://www.levalet.org/



vendredi 25 avril 2014

Entre le suicide et la vérité



Personne ne nie que Manuel Valls soit plus actif et plus volontaire que Jean-Marc Ayrault ; mais cette constatation ne mène pas loin. Pour deux raisons : la première est que ce n’est pas le Premier Ministre mais le Président de la République qui élabore et conduit la politique en France dans la cinquième République. L’opinion publique en est consciente et a retiré sa confiance à François Hollande. La seconde est une conséquence de la première. Le gouvernement, et en particulier le Président et le Premier Ministre, ont-ils la possibilité de proposer les mesures nécessaires à la croissance et à l’équilibre de l’économie à une population qui n’a pas confiance en eux ?
Jean-Marc Ayrault a certainement eu raison de renoncer à réformer le système des retraites qui a pourtant besoin de l’être. Toute mesure du type : retarder l’âge d’accès à la retraite à taux complet aurait provoqué un choc social auquel la majorité n’aurait pas résistée.
Aujourd’hui, la perte de confiance s’est encore aggravée, comme l’ont montré les élections municipales, et la question doit être posée : le gouvernement peut-il encore gouverner ? En termes plus concrets : le Président qui a proposé – au moins en termes généraux – 50 milliards d’économie sur les dépenses de l’Etat est-il capable de faire voter cette mesure par le Parlement ? Nous ne savons pas bien ce que veulent les nombreux députés PS qui ont manifesté leur opposition à ce projet. Car le refuser signifie souhaiter la dissolution de l’Assemblée et la tenue de nouvelles élections qui donneraient une majorité à la droite et feraient de François Hollande un roi mérovingien soumis au Maire du Palais UMP. Et une bonne partie des députés qui aurait refusé la confiance perdrait leur siège de député. Est-ce cela ce qu’ils veulent ? Certains disent que de toute manière tout est perdu et qu’il vaut mieux mourir dans l’honneur que dans le déshonneur. Peut-être quelques-uns pensent-ils même que ce Harakiri – ou plutôt ce Seppuku – de la gauche du Parti socialiste est la seule manière de se débarrasser d’elle pour pouvoir suivre le chemin social libéral déjà choisi par la Grande-Bretagne, l’Allemagne et maintenant l’Italie.
Mais ce scénario, qui peut intéresser un auteur de tragédie, est politiquement irréaliste. Autant qu’une démission du Président de la République.

                                           Le rituel du Seppuku                                                © Drake Arnold . com 

vendredi 18 avril 2014

Valparaíso a brulé.



Un incendie qui a pris naissance – peut-être de manière criminelle - dans les forêts qui dominent Valparaiso, le port chilien du Pacifique dont tout le monde à chanter le nom, vient de détruire une grande partie de la ville qui semblait si ancienne dans notre mémoire et qui pourtant avait déjà été détruite par un incendie au tout début du 20ème siècle. De ces murs couleur pastel, bordés de fleurs, de ces montées d’ascenseurs vers des Cerros hors d’atteinte, combien ont-ils survécus ? La ville basse, celle que les marins animaient avant le creusement du canal de Panama et où passaient les marchandises qui ravitaillaient ceux qui découvraient la Californie, a du moins souffrir. Mais le soleil éclairait peu ces rues obscures.
Aujourd’hui, toute la vie du Chili est à Santiago comme au Pérou voisin elle est à Lima mais c’est à Valparaiso le port que le Chili est né. C’est là aussi qu’un amiral anglais a aidé le Chili à se libérer de la colonisation espagnole. C’est à Valparaiso que sont nés la banque, en même temps que le commerce international, qui ont donné au Chili son rôle conquérant sur la côte pacifique.
Puisque cet incendie n’est pas le premier qui a dévasté la ville, que la nouvelle présidente Michelle Bachelet se hâte de la reconstruire avec ses couleurs et la vie de son port.

mardi 8 avril 2014

D’où la croissance peut-elle venir ?


Le nouveau gouvernement, dirigé par Manuel Valls, aura la vie plus difficile que celui de Jean-Marc Ayrault. D’abord, parce qu’il n’y a aucune raison pour que la déroute subie aux municipales ne se reproduise pas aux européennes puis aux sénatoriales. Mais aussi parce qu’une fois que le peuple a levé la main sur le souverain, un nouvel affront, un nouveau rejet sont plus faciles à commettre que le premier. Le Président de la République est de moins en moins protégé par sa fonction et même ses plus grands actes de courage, l’intervention au Mali puis en République centrafricaine et sa fermeté contre Bachar el-Assad en Syrie qui fut arrêté par les Etats-Unis, peut être de moins en moins renouvelée. 
Les Français veulent des mesures concrètes, à effets rapides, et qui réduisent les inégalités au lieu de les augmenter. Bien des chemins se sont fermés. Peut-on encore augmenter les impôts ? Chacun sens que ce serait dangereux. Faut-il imposer de nouveaux délais à Bruxelles ? Il est peu probable que les toutes proches élections européennes renforcent François Hollande dans le Parlement européen et dans la Commission. 
En fait il devient chaque jour plus clair que la seule solution est celle que François Hollande avait annoncée mais qu’il n’a pas apportée : la croissance. Et d’où peut-elle venir ?
Dans le passé, on cherchait de nouveaux capitaux à investir ; mais les capitaux ont perdu l’esprit citoyen. Il faut donc se tourner vers la connaissance. Les scientifiques nous disent depuis longtemps que nous vivons une période de fécondité extraordinaire de la recherche. De grandes innovations se forment partout et les Américains eux-mêmes nous disent que nos inventeurs sont très brillants, parmi les meilleurs, et qu’on attend des bonds en avant dans notre capacité d’agir sur nous-mêmes, et en particulier sur notre cerveau. Poussons donc les feux ; supprimons les barrières qui empêchent les chercheurs d’avancer ; et donc de créer de plus en plus de start-up.
Je voudrais entendre tous les jours à la télé, non pas les résultats d’un match de foot, mais l’annonce d’une nouvelle découverte scientifique.

mardi 25 mars 2014

La raclée



Oui, c’est bien d’une raclée qu’il s’agit. La perte de confiance dans les hommes politiques s’ajoute à l’échec économique du gouvernement et à l’image négative du Président de la République. Le premier ministre, écrasé par la défaite, n’a dit que quelques mots, à peine audibles ; on sentait qu’il rédigeait sa démission. Il risque de servir, bien injustement, de bouc-émissaire dans cette débâcle. En fait, ce n’est pas une politique qui a échoué c’est l’absence de politique, d’objectifs et de priorités qui a entrainé l’aboulie, la passivité dont nous souffrons depuis longtemps. Ce n’est pas d’un remaniement ministériel dont nous avons besoin, c’est d’une dissolution de l’Assemblée Nationale et de nouvelles élections.
Avec un fort renouvellement des hommes et des mots et des discours. Il n’est plus suffisant de changer seulement les joueurs de place.
Ce n’est en tout cas pas le Front national qui peut apporter des solutions ; sa nullité politique est extrême et il ne fait que surfer sur les vagues du mécontentement et de la colère.
Nous souvenons nous d’être tombés aussi bas depuis 2002 ?





lundi 24 mars 2014

Faut-il avoir peur d’un nouveau Munich ?

Vivons-nous un second Munich 80 ans plus tard ? Nous avons cédé la Crimée à Poutine. Verrons-nous demain Kharkov et Donets demander le rattachement de l’Ukraine russophone à la Russie ? Et déjà la Transnistrie, partie russophone autonome de la Moldavie, a fait entendre la voix de ce qui pourrait être l’équivalent des Sudètes. Et pouvons-nous craindre le réveil des populations russophones dans quelques pays baltes, et en particulier en Lettonie ? L’Union européenne et les Etats-Unis sont incapables d’agir. Et la révolution orange d’Ukraine a laissé des souvenirs de confusion et de corruption qui découragent la sympathie.
Mais, quelle que soit notre réponse nous devons poser la question : Poutine met-il ses chaussures dans les pas de Hitler et surtout en le laissant s’emparer de la Crimée l’encourageons-nous à continuer ses conquêtes comme le firent Chamberlain et Daladier en 1938 ? Je comprends que des jeunes gens d’aujourd’hui ne se posent pas une telle question, mais comment le pourrais-je, moi qui me souviens de ce qu’a voulu dire depuis 1938 jusqu’à aujourd’hui le mot : munichois. Je m’impose donc de me poser cette question mais je suis forcé d’y répondre aussitôt que les deux situations sont très différentes et que la comparaison est même artificielle. Poutine veut recréer l’URSS et même créer un empire européo-asiatique capable d’équilibrer l’Union européenne. Ce qui est d’ailleurs artificiel car la Russie ne produit presque rien, en dehors du pétrole, du gaz et des diamants et son armement nucléaire rappelle plus sa défaite dans la guerre froide que sa puissance de dissuasion. Il est vrai que l’Europe, et surtout l’Allemagne, dépend fortement du gaz russe mais la Russie dépend de l’Occident pour presque tout le reste de leur économie industrielle. De commun avec l’Allemagne au début du XXème siècle, super puissance industrielle et militaire ? Comme l’Europe et les Etats-Unis n’ont aucun moyen d’agir contre l’Etat de fait créé par le rattachement de la Crimée à la Russie et que l’Ukraine reste enfoncée dans l’impuissance, je dois constater que toute réponse agressive de l’Europe augmenterait le risque d’un conflit plus grave. La Russie de Poutine n’est pas portée vers une expansion de type hitlérien fondée sur la puissance militaire et une mobilisation idéologique. Elle ne cherche qu’à recréer un empire territorial incapable de jouer les premiers rôles dans la vie mondiale. Mais une Europe faible, en crise, incapable de décision, crée toujours, par sa faiblesse même, un risque d’invasion de la ville par des loups affamés. Le risque que court l’Europe ne vient aujourd’hui ni de Moscou ni de Pékin mais de sa propre impuissance.
Sébastopol
Célébrations du Jour de la Victoire à Sébastopol. Source : Foksik.ru